13/02/2014

Tombeau Pierrot





Pierre Varry est né à Villeroy, en 1937. 1937, c'est 19 ans après l'armistice, le temps qui nous sépare du début des années 90, autant dire avant hier. Le bruit de la mitraille avait résonné jusqu'à Villeroy,durant les combats féroces de la bataille de la Marne. En 1937, la paix était revenue. Si l'on peut dire. Ceux qui avaient survécu à l'hécatombe portaient le guerre dans leur coeur. Les villages de France bruissaient des récits en boucle des anciens combattants, qui n'étaient pas des vieux, mais des hommes dans la force de l'âge. Ils bruissaient, les villages, de leurs récits, mais aussi de leurs silences, silences épais, à couper au couteau, qui portaient toute l'horreur entrevue, horreur incommunicable qui faisait que, même s'ils en étaient revenus, ils n'en reviendraient jamais complètement. Aux ânes qui portaient le ravitaillement dans les tranchées de Verdun, on crevait les yeux pour qu'ils continuent à avancer. Aux hommes, non. Certains, qui en étaient revenus,avaient eu les yeux comme crevés de l'intérieur. Edmond, le père de Pierre,avait passé ses 20 ans dans les corps francs, entre Roumanie et Bulgarie, dans l'aventure oubliée de l'armée d'Orient. Nul n'a jamais su vraiment ce qu'il a vu là-bas. 1937. L'époque était à l'exacerbation des passions politiques, dans une violence inouïe. Les enfants se battaient dans les cours de récréation, au nom des idées de leurs parents, qui avaient forcément raison, puisque c'était leurs parents et qu'ils les aimaient. Pierre Varry a fait ses premiers pas dans la forge familiale, dans le tintement de l'enclume, la fumée du charbon et le hennissement des chevaux de trait. 1939 est arrivé. Le tout petit garçon qu'il était a connu l'exode.Au milieu des cohortes des civils jetées sur les routes, il a pleuré sans discontinuer pendant des jours et des jours. Même sa mère ne pouvait pas le consoler. Avec sa famille, après un long périple, il est rentré chez lui. Il s'en est remis. Les enfants se remettent de tout. En apparence. Suivra l'occupation, la pauvreté, la faim parfois. Pierre grandit dans l'affection des siens. Une enfance rurale, insouciante. A 17 ans, il fait une primo infection tuberculeuse. Dans la solitude de sa chambre d'adolescent, il découvre les grands mystiques, st Jean de la croix, ste Thérèse d'Avila, ste Thérèse de l'Enfant Jésus. Il est fasciné par ces géants qui lui laissent entrevoir qu'au delà du fait d'être un bon chrétien, il y a l'exigence absolue de la sainteté. Tous les mots qu'il lit s'engrangent dans son coeur. Il cesse de croire en Dieu, croyance rassurante qui n'empèche pas de vivre de façon ordinaire, pour croire Dieu, radicalement, dans une évidence absolue. Le monde continue à aller mal. Sur les plaies mal cicatrisés des deux guerre mondiale, c'est la guerre froide qui se déploie. Pour Pierre, un sentiment d'apocalypse s'insinue. Né après la première catastrophe, témoin, dans sa chair de la deuxième catastrophe, il s'attend à la troisième. Ca ne l'empèche pas encore de vivre. Artiste de tempérament, il écrit des poèmes, des chansons, et commence à dessiner. Il travaille, parce qu'il le faut bien, mais dans un intéret limité pour ce pan de la vie. Sa vraie vie, elle est ailleurs. Il est sensible, lunaire. C'est un poète. Rien d'inquiètant. Il est jeune, encore. On verra la suite après le service militaire, quand il sera vraiment un homme. Il va à Lourdes pour la première fois. Marie et Sainte Bernadette l'accompagneront toute sa vie. Il mutipliera les pèlerinages. Vient le service militaire. C'est la première fois qu'il se séparre de ses parnets. Cela lui est bien difficile.Le médecin major le trouve trop émotif. Pierre refusera la réforme proposée: ce n'est pas le genre de la famille. C'est la guerre d'Algérie. Une fois encore, le pays se déchire. Pierrre tient son service jusu'au bout, dans une armurerie, aux confins du désert. Un trouble intérieur l'envahit, insidieusement. Tout s'effondre à son retour. Le dragon qui sommeillait en lui se réveille brutalement, dans une férocité inouie. Pierre devient le champ de bataille où se livre le combat permanent entre le bien et le mal. La dragon lui fait croire qu'il a une mission. Il doit conjurer le mal, à n'importe quel prix. Pierre voit, partout, les signes de ce mal. Une lettre, un mot, une phrase deviennent pour lui l'empreinte manifeste du désordre du monde. Tout lui fait signe. Pierre se doit de témoigner de ce qu'il comprend. Un jour, il prend la parole dans une église et prêche à la place du prêtre. Il n'a pas le choix. C'est sa mission. Il est cette mission. Il devient le prophète d'un univers étrange, baroque, où l'effroi et l'exaltation alternent, le laissant pantelant, au bord du gouffre. Pierre entame son parcours hospitalier. Il expérimentera la brutalité des traitements de choc des années 60 et la promiscuité de ses compagnons d'infortune. Cent fois, mille fois, à des médecin différents, il racontera son histoire. Cela durera toute sa vie. Le dragon désempare sa famille, qui ne fera jamais défault dans son accompagnement, malgrè la douleur suscitée et l'énigme à porter. Pierre a trouvé auprès des siens, un soutien inconditionnel qui lui a permis d'adoucir sa vie, de la rendre à peu près supportable. Sa vie ? Une alternance de périodes de crise et de périodes de rémission. Quand il va bien - si l' on peut dire- il est ralenti par les médicaments, dort beaucoup, parle peu. Il semble presque indifférent à son entourage, absorbé qu'il est par son monde intérieur. Pour autant, il observe tout, se souvient de tout et veille, à sa façon, à tout son entourage. Pierre était le secrétaire, le chroniqueur de la famillle, avec une mémore très précise, au jour près, de tous les évènements. Grand amateur de téléphone il tenait à jour ses chroniques en prenant très régulièrement des nouvelles de chacun. La plupart du temps, il savait se tenir et évitait de faire part de se qui se passait à l'intérieur de lui. Puis le dragon se réveillait. Pierre redevenait, en apparence, plus vivant. Lui, si silencieux, se remettait à parler. Il était pris par l'euphorie, avait des projets, avait le sentiment, enfin, d'avoir tout compris de ce qu'il lui était arrivé. On aurait pu croire qu'il allait mieux. Très vite, cette euphorie prenait des formes spectaculaires, avant que l'angoisse ne le saisisse et nécessite sa mise en protection. L'hopital se chargeait alors de l'apaiser jusqu'à la prochaine fois. Le dragon qui l'habitait n'était jamais tout à fait endormi. Sur la fin de sa vie, les crises majeures lui ont été épargnées. Sans doute avait -il acquis un véritable savoir sur son dragon, savoir qui limitait les dégats. Pierre était, à sa façon, un guerrier, sur un front qui fait frémir les biens portants. toute sa vie, il a lutté pour ne pas se laisser engloutir. la bataille vient de se terminer. Même aux pires moments, parfois à un fil près, il n'a pas succombé à la tentation du désespoir. Il a gagné. Randonneur des lignes de crête, marcheur au bord du pécipice, cotoyeur des abîmes, il a , finalement, eu le pas assez sûr. Lassé de lutter sans cesse, il est mort, quand son heure est venue, dans l'évidence de l'éternité. Nul doute qu'il y sera bien acceuilli par toute les figures familières qu'il souhaitait retrouver, dans la certitude de celui qui attend, derrière la porte, l'heure d'un rendez-vous. Quant à Dieu et à la Vierge Marie, ils lui devront bien quelques explications... Dans son appartement, au Mée sur Seine, au milieu de tout son attirail religieux, il y avait une phrase imprimée à la façon d'un parchemin, de Sainte Thérèse d'Aliva, cela disait : " Dieu seul suffit, que rien ne t'épouvante" C'est la posture qu'il avait adoptée. En matière d'épouvante, il en connaissait un rayon. Cette phrase résume l'énigme et la singularité d'un parcours de vie d'une grande dignité, qui, au delà des apparences et des critères de réussite ordinaire, garde toute sa valeur. Comme le disait Tosquelles, immense psychiatre qui a tant oeuvré pour comprendre et accompagner ses patients, et parmi eux, durant un temps, Pierre Varry, "Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c'est l'homme même qui disparait". De tout cela, il était indispensable de rendre témoignage. Il est des rencontres qui transforment une vie. Le rencontrer a été un privilège. Puisse -t-il trouver la paix qu'il a tant cherché et bien mérité.


1 commentaire:

  1. La vraie réconciliation, c'est quand on peut dormir paisiblement sous la protection de son propre dragon intérieur...

    P de maximy

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